La Pastèque d’Or
– Cap’tain, c’est pas du steak, c’te pastèque et j’crois bien que c’est la fin des zaricots…
– Je ne vous suis pas, Vigie : cette boîte de chili con carne en contenait pourtant assez un peu… et respectivement déjà beaucoup !
– Nan, j’voulais dire : nous z’aurions jamais dû faire l’ascension de la cucurbita-quoi géante, nous z’en verrons jamais l’bout ! Tout le reste de l’Equipage est mort !
– Ce ramassis d’incapables ? Un Equipage ? Nous n’en serions pas là si nous n’avions perdu L’Ecume des Jours et presque tous nos vieux compagnons de rapine dans cette course poursuite avec l’Armada Pourpre de Taouane, m****, sans blague ! Le menu fretin que nous avons recruté dans les parages de Javavava ne valait pas une Pésète !
– Et qu’allons-nous faire maintenant ? Nous n’avons plus rien à boire ni à manger ! Comment retourner à terre ?
– Retourner ? Si près du but !? Jamais ! Et puis m**** ! Je voudrais vous y voir, Vigie, à terre, de nouveau prêt à affronter le Grand Loa Jardinier, je suppose ? Ah ! Ah !
– Le temps de redescendre, je serai de toute façon déjà mort…
– Raison de plus pour continuer ! Et on y croit à cette Pastèque d’Or de tous nos malheurs de m**** ! « Dans ses graines d’Orichalque gît la Transparence du Monde et le Secret du Pays des Daurades », nous dit le Parchemin du Capitaine Lamarck… Le Secret du Pays des Daurades ! C’est pourtant limpide comme du cristal de roche, m**** !
– En attendant tout l’Or des Daurades, j’en ai ras-l’bol des poils urticants de cette tige qui n’en finit pas, des vrilles carnivores, des sucs hallucino-j’sais-pas-quoi et des nuages glacés dans lesquels nous « nageons » depuis trois jours entiers !
– Attention derrière vous ! Qu’est cette nouvelle loaterie ?!
Le Capitaine avait sorti son pistolet « deux-coups » de son écharpe de soie cramoisie et, le regard brillant, il le pointait maintenant vers son dernier Homme d’Equipage qui n’en menait subitement plus bien large. C’est alors que par une trouée dans les nuages un rai de lumière orangée comme l’après-midi d’un été du Pays Souleumatla se fraya un chemin jusqu’à la feuille où se trouvaient nos deux compères : la Vigie éblouie se couvrit les yeux d’une main et de l’autre main bégaya quelque chose comme :
– Cap’tain ! Là… Là ! C-c’est… C’est là t-tout près ! J’l’ai v-vu !

Mais il n’eut le temps de le traduire en mots : sous l’impact de la grenaille de plomb, voilà que sa face de pastèque à oreilles de zèbre s’était volatilisée dans le champ brumeux de la vision du Capitaine Brain…
– Vigie ? Vigie, où vous êtes-vous planqué !? Ne me dites pas que vous aussi vous renoncez ! Si près du but : regardez !… Oh, et puis m**** ! S’il ne doit en rester qu’un…

Et nul n’entendit plus parler de lui ; ceci dit, personne auparavant n’en avait eu non plus ouï dire : les nuages un instant entrouverts s’étaient refermés et une brume glaciale vint envelopper la feuille sur laquelle le Capitaine Brain se tenait.