La Mer des Mille Tourments

Cette mer naît de la force du Grand Courant Rentrant et des turbulences engendrées par sa séparation en deux bras, les Grandes Traverses. Les tempêtes du Grand Courant Sortant font figure de petites brises à côté des bourrasques de la Mer des Mille Tourments… Mais ce sont de véritables tempêtes, avec le déchaînement des forces atmosphériques qui se combinent à l’agitation des eaux. De fait, la Mer des Mille Tourments est perpétuellement prise dans la châsse d’une immense masse nuageuse d’environ mille milles nautiques de diamètre, traversée d’éclairs et grondant de tonnerre du matin au soir et du soir au matin, si bien qu’à vrai dire on ne saurait plus distinguer l’un de l’autre en la naviguant.

On la dit peuplée de monstres marins inimaginables, échoués là pendant leur traversée des Grands Courants, et déboussolés par la violence des remous, incapables d’en ressortir avant des années. Autant dire que ces monstres là ont faim et sont passablement énervés ! Non seulement ils ne trouvent rien à manger et sont tourmentés par les courants mais il n’est pas non plus rare qu’en faisant surface ils prennent la foudre sur le coin de la tête ; ils sont donc probablement cinglés et on prétend qu’ils attaquent à vue !! (Si toutefois ils existent…)

Et pourtant, et pourtant…

La (légendaire ?) « Grande Eruption de 53 »

Nombreux son ceux qui voudraient traverser la Mer des Mille Tourments, beaucoup moins nombreux ceux qui, même parmi les Pirates les plus tarés, ont le cran – la folie dans ce cas – de le faire…

Quel dommage !

Car au centre de la Mer des Mille Tourments, certaines légendes prétendent que se trouvent une mer calme et des îles paradisiaques, entourées d’un lagon turquoise, serties dans le vert de leurs jungles accueillantes, couronnées de hautes montagnes enveloppées de douces brumes blanches… Certaines légendes ajoutent toutefois que ces îles abriteraient des volcans actifs !

On dit même que ces îles seraient au nombre de deux principales et un nombre inconnu de plus petites îles, les deux principales ayant même un nom dans les légendes : Célesta et Paradisio.

La rumeur selon laquelle une au moins de ces îles serait un volcan a bonne presse car il y a deux générations de Pirates – en l’an 53 du Calendrier Universel de nombreux témoignages, à la fois de navigateurs, d’astronomes et de prêtres vaudous, rendirent compte de cela – une fin d’après-midi, un immense panache de fumées s’était élevé loin au-dessus des cumulo-nimbus installés à résidence sur la Mer des Mille Tourments alors que des lueurs flamboyantes traversaient la masse nuageuse, qui ne pouvaient être la lueur habituellement laiteuse des éclairs. Des grondements sourds purent être entendus à plus de mille milles nautiques et certaines îles connurent des tremblements de terre peu importants mais répétés. Enfin, le neuvième et le dixième jour que cette situation extraordinaire durait, les cumulo-nimbus de la Mer des Mille Tourments se dispersèrent en partie et les panaches de fumées furent nettement visibles, dit-on.

On ne revit jamais les navigateurs fous qui tentèrent d’aller voir le phénomène de plus près, espérant traverser la Mer des Mille Tourments à bon compte : la tempête se referma sans doute sur eux le onzième jour et depuis ne s’est jamais plus interrompue. Mais peut-être sont-ils arrivés à bon port sur Célesta ou Paradisio et n’en sont-ils – pas si fous ! – jamais revenus…

La « Poussière » et l’ « Orichalque »

On relate également – et ces faits sont on ne peut plus certains – que des poussières irisées furent déposées et balayées sur tous les perrons du Monde Connu pendant plus de trois ans après ces événements. Certains observateurs pensent qu’il y aurait un lien entre ces monceaux de poussière et l’éruption supposée des Iles Antimagnètes. En tout cas, cette poussière est devenue fort rare et fort précieuse – on l’appelle simplement « la Poussière » dans le tout le Monde Connu – car elle s’est avérée très utile pour la fabrication de vitraux colorés et céramiques… et pour la fabrication de diverses potions vaudoues !

Certains Savants du Cœur du Monde ont aussi essayé de l’étudier de plus près, beaucoup plus près (avec de puissants microscopes, quoi !) et en furent très surpris : cette « Poussière » contient en effet en infimes quantités de minuscules cristaux sans couleur (pour faire simple, plus ou moins « noirs ») et comme gainés (partiellement) dans certains des grains de la poussière. On en a identifié de trois formes différentes : tétraédrique, cubique et octaédrique de la plus fréquente à la plus rare. Les spéculations sont donc allées bon train pour compléter la liste avec d’hypothétiques dodécaèdres et icosaèdres mais sans confirmation par l’observation à ce jour, ce qui serait cohérent avec leur rareté supposée.

A part leur liaison à un type de grains précis dans la « Poussière », ces cristaux semblent avoir extrêmement peu d’interaction avec la matière et l’énergie qu’on essaie de leur appliquer ; certains disent en avoir dégagé avec grandes difficultés de leur gangue et les avoir ensuite même vu léviter avant de les perdre ! Et on ne sait guère plus de leurs possibles propriétés physiques et chimiques, de leur toxicité éventuelle et encore moins de leur origine… En tout état de cause ces recherches sont de toutes façons assez confidentielles, pour ne pas dire totalement ésotériques, et bien peu de gens connaissent le nom donné à ces cristaux par les Savants (On se demande d’ailleurs pourquoi nous en parlons du coup…) : l’ « Orichalque ».

Un beau nom, il faut l’admettre. Et puis nous n’en savons pas plus. Mystère et boule de gomme.

Rumeurs brumeuses et déboussolées

Alors, pourquoi les « Iles Antimagnètes » ? Ce n’est qu’une rumeur, mais elle est largement répandue, selon laquelle on aurait donné ce nom à un groupe d’île – au demeurant hypothétiques on le rappelle – car les boussoles ne fonctionneraient plus en leurs alentours, ajoutant encore un tourment s’il en fallait à ceux d’une mer qui en compte mille ! Pas de boussole, pas de visibilité : si tel est vraiment le cas, les Navigateurs les plus téméraires ne sont pas sur le point d’accoster les légendaires Iles Antimagnètes !!

Un savant de l’Ile Pas de Loupe a récemment réussi à accumuler suffisamment de Poussière et il a montré qu’en l’approchant d’une aiguille aimantée posée sur un bouchon en flottaison sur un baquet rempli d’eau… eh bien il ne se passait rien, ce qui ne fait qu’épaissir le mystère…

Note de passage au Meneur de Jeu : s’il regarde attentivement la Carte générale du Monde, notre lecteur – et néanmoins Ami – aura constaté qu’il n’y a pas deux, mais trois îles (en fait quatre mais ce n’est guère plus qu’un rocher). Alors ? Incohérence des sources, douteuses de toutes façons ? Non, désolé, ce n’est pas ça. Mais cela ne peut être révélé pour le moment. Ca le sera par la suite, si suite il peut y avoir, mais sache déjà, ami Lecteur, que c’est de la plus haute importance, en tout cas théorique !

Seconde note au Meneur de Jeu (et d’ailleurs si tu n’es pas Meneur de Jeu, tu ne devrais pas lire cela…) : ça ne devrait pas servir dans l’immédiat, traverser la Mer des Mille Tourments relevant du délire le plus total, mais si tu veux le savoir, Célesta serait une île de presque deux cents milles de long et de près de huit mille mètres d’altitude. Seul son second sommet (plus de six mille mètres) serait en activité… et une activité plutôt explosive si l’histoire dit vrai ! Quant à Paradisio, pour la même longueur totale, elle est formée de deux îles reliées par un isthme et entourées d’un lagon sur la côte Ouest. Elle culmine à plus de cinq mille mètres d’altitude en un pic qui rappelle le dard du poisson-pierre. La troisième île ? On te l’a déjà dit ! De grandes révélations viendront plus tard !