Au rang des objets étranges du Monde Connu, on compte encore le « tricorne sans fond » et le Grand Tourbillon de l’Est. Le « tricorne sans fond » est un ensemble de trois tourbillons géants : le Grand Chaos, Charybde et Scilla. Que ce soit le Grand Chaos, le Grand Tourbillon de l’Est ou l’ensemble de Charybde et Scilla, chacun d’eux peut en fait être comparé à une petite mer caractérisée par un courant de rotation et une frange turbulente.

Ces mers sont engendrées, maintenues et perturbées par les flux puissants mais variables du Grand Courant Rentrant et de la Grande Traverse Sud qui se piègent dans les golfes importants qui se trouvent en bordure du Cœur du Monde, du Pays Ni’On et des archipels voisins. Leurs eaux s’échangent cependant relativement peu avec celles du Grand Courant Rentrant ou avec celles de la Grande Traverse Sud (Pour des raisons sans doute très scientifiques mais qui nous échappent tout autant qu’à la plupart des savants du Monde Connu…). Ainsi et par exemple, l’ensemble de Charybde et Scilla, près de l’Equateur, a-t-il des eaux extrêmement chaudes et poissonneuses…

Un trio infernal : Carybde, Scilla et le Grand Chaos

Commençons donc par Charybde et Scilla, proverbial mais peut-être le moins étrange de ces grands tourbillons – Quoique pour le coup nous puissions mette nos physiciens au défi d’expliquer son fonctionnement ! Les deux tourbillons tournent en sens inverse l’un de l’autre et échangent leurs eaux. On dit bien « tomber de Charybde en Scilla » car les malheureux bateaux (souvent de pêche, souvent de l’Ile Martine ou de Guinée) qui se retrouvent pris dans le courant principal suivent une route en « huit » dont il est pratiquement impossible de se sortir seul. Cette route est ainsi jonchée d’épaves qui flottent toujours mais dont les Equipages sont morts - en général - depuis longtemps ! Elle en tire ses noms : Route des Epaves, Route de la Soif, Route de l’Infini, etc. Pourtant, les bons Navigateurs parviennent à entrer dans la zone d’influence des deux tourbillons et à en sortir, à condition de ne pas s’avancer trop loin dans le courant ni rester trop au bord, ce qui pourrait conduire dans des zones turbulentes impossibles à naviguer. Le danger tient à ce que les courants changent de régime en oscillant, tantôt Charybde, tantôt Scilla devenant le plus gros des deux tourbillons par un échange déséquilibré d’eau. Outre ce piège des courants oscillants, la plus extrême prudence est requise car quelques monstres marins peuvent traîner dans les parages, attirés par la quantité énorme de poissons juteux du secteur… A l’instar des pêcheurs hors pairs qui osent venir lâcher leurs lignes et filets dans ces eaux…

Ces oscillations peu régulières de Charybde et Scilla, ainsi que les variations dans le Grand Courant Rentrant conduisent au caractère chaotique du tourbillon du Grand Chaos. Il n’est pas naviguable : en effet, le sens de rotation peut changer, s’inverser, disparaître en l’espace de quelques heures. Même les meilleurs Navigateurs ne sauraient se sortir d’une mer aussi étrange. Les tempêtes apparaissent ainsi de même, de manière complètement imprévisible, avec ou sans vent, avec ou sans nuages, et les creux des vagues sont sans aucun doute les plus impressionnants du Monde Connu pendant les plus fortes tempêtes. Toutefois, des Equipages, s’étant perdus en mer et ayant traversé le Grand Chaos d'une manière ou d'une autre, ont pu au cours de l’Histoire rejoindre vivants une terre mais les Navires furent tous, sans exception aucune, disloqués.

Le Grand Chaos et Charybde et Scilla sont encore mieux connus sous le nom de « tricorne sans fond » car, ce qui a toujours frappé l’esprit des Marins, c’est la perspective de se retrouver pris, non dans l’une de ces deux mers, mais dans le chenal turbulent qui se trouve entre elles. A ceux-là ne restent plus que la prière et leurs dents pour jouer des claquettes… pas longtemps !

Le Grand Tourbillon de l'Est

Le Grand Tourbillon de l’Est est beaucoup plus étrange. Seul, il engendre peu de turbulences sur son bord et y entrer est (presque) un jeu d’enfant jusqu’à la moitié du parcours vers son centre. En ressortir de même. Cependant, plus près du centre, le courant se renforce jusqu’à devenir incoercible et le piège naturel se referme alors sur les malheureux bateaux…

Il court cependant – en pays Ni’On plus particulièrement – des histoires, des bruits, une légende même, selon lesquels les Navigateurs malheureux ne seraient pas simplement piégés dans le tourbillon mais aspirés vers le centre puis le fond. La plupart du temps, il engloutirait tout comme un gigantesque évier ; mais, à certaines dates, soigneusement enregistrées par des astromes, géographes et prêtres de ce pays, la rotation du Grand Tourbillon de l’Est s’inverse brutalement et le phénomène est associé à deux énormes raz-de-marées successifs. A la suite des raz-de-marée, plusieurs flux et reflux sensibles de la mer en dehors de ses oscillations normales sont mesurés pendant quelques semaines alors que le Grand Tourbillon de L’Est reprend son sens de rotation habituel.

Une théorie (farfelue ?!) pour expliquer le phénomène, qui ne se produit pas plus souvent qu’une ou deux fois par siècle, fait l’hypothèse d’une grande cavité sous la mer, qui se remplirait peu à peu et où l’eau se réchaufferait dans les profondeurs du Monde. Arriverait un moment où la « marmite » serait pleine et où une masse colossale d’eau se mettrait à bouillir, chassant une grande partie du reste de la masse liquide par le haut. Si cette théorie était vérifiée, au moment de l’inversion de la rotation et du premier raz-de-marée, une colonne d’eau géante (et peut-être assez chaude…) s’élèverait jusqu’à plusieurs milliers de mètres dans les airs avant de retomber. Le premier raz-de-marée proviendrait du choc de sortie de la colonne d’eau, le deuxième, de la retombée de toute cette eau. Certains, plutôt mystiques, pensent même qu’il pourrait s’agir de l’évent d’une créature titanesque dont le Monde Connu serait le dos écailleux et, au passage, ils prédiraient un apocalypse le jour où ladite créature déciderait de retourner dans les abysses de ses origines… Nul cependant n’a encore eu la témérité d’aller vérifier ces hypothèses… Ou alors il est en train de rédiger son mémoire ! La prévision de l’événement est assez complexe également, ce qui ne faciliterait pas l’opération…

Mais qui serait assez fou pour tenter d’approcher le phénomène ? Personne évidemment ! Sauf que… Sauf qu’il court une autre légende – d’aucuns disent qu’il s’agit en fait d’arcanes tenus soigneusement secrets dans les salles de méditation des temples du Pays Ni’On – légende selon laquelle se trouveraient là-haut dans le ciel… des îles !! Croyez-le ou non, ces îles formeraient un archipel auquel un nom a même été donné : les Iles des Grands Pangloss, les Grands Pangloss étant des eux-mêmes des sortes d’oiseaux légendaires que les Marins de cette région du monde disent parfois avoir entr’aperçu dans le ciel les soirs où une tempête se lève au Sud mais dont les descriptions divergent très nettement les unes des autres… Autant dire que le mystère reste là encore assez épais.