Un tour (trop) rapide de Santa Crouze
Entre Passe d’Enfer et Plan de Feu…
L’île est de forme compacte et présente un profil assez bas sur l’horizon, bien que ses reliefs intérieurs soient profondément marqués : elle est constituée de deux volcans – le Tire à la Canne, 1493 mètres, son sommet, un volcan endormi cependant ; le Volcan de la Tête, 1288 mètres, très actif sur son versant Sud-Est, appelé le Plan de Feu et d’ailleurs inhabité – constituant un axe quasi W-E de 36 milles nautiques entre la Pointe des Palmes et Pâle-Mare, sur lequel les deux sommets sont à peu près alignés. La direction NNW-SSE est marquée par deux coulées importantes du Volcan de la Tête et totalise 32 milles nautiques de la Pointe Benoîte (extrémité de la Grande Coulée, ancienne) à la Pointe Bonne-Vue (coulée du même nom, à l’extrémité Ouest du Plan de Feu).
Pour en finir avec les généralités physiques, Santa Crouze présente un port naturel, parmi les meilleurs des Petites Carabines, protégé par une barre rocheuse (un bras de la Grande Coulée), SE-NW, parfait contre les vents et la houle et facile d’accès car sans barrière corallienne en avant – le Port’Tunetéméfié, site de la capitale du même nom – et sinon de nombreuses côtes rocheuses inaccessibles alternant avec de longues zones de plages aux bacs de sables sur hauts-fonds, non moins dangereux d’ailleurs. A propos, la barre rocheuse en question s’appelle le Rocher de la Murène, un nom assez fréquent dans les Carabines, cependant ici à fort juste titre car une pointe de ce rocher affleure quelques encablures en avant du rocher proprement dit et avait, avant la construction du Port et de Balises de signalisation, acquis une terrible réputation auprès des Navigateurs de la région, selon le proverbe : « Et tu ne t’es méfié de la Murène… », donnant probablement son nom d’aujourd’hui au Port et à la Capitale de l’île tout entière.
Les Côtes Ouest et Sud-Ouest sont protégées par des barrières récifales entrecoupées de passes plus ou moins navigables. Noter en particulier la Passe d’Enfer qui porte bien son nom et quelques épaves dont le mérite est désormais de prévenir les navigateurs trop aventureux. Enfin, la Côte Sud-Est, aussi dite du Plan de Feu, est très peu hospitalière et même dangereuse car la houle y frappe les noires falaises des coulées de lave plus ou moins anciennes du Volcan de la Tête. Elle est pour cela devenu un repaire pour les Pirates mais il s’agit de bien savoir où on largue l’ancre car le relief sous-marin est, à cet endroit, très accidenté et certaines zones sont effondrées sur plus de cent mètres en profondeur. Des grottes, plus ou moins profondes et difficiles d’accès, dans les falaises, rendent l’endroit particulièrement intéressant pour les Pirates, d’autant que forêts épaisses et coulées de lave récentes alternent au-dessus : y accéder est donc presque aussi difficile par terre que par mer !
… une Petite Carabine bien accueillante
Santa Crouze compte quatorze agglomérations de taille significative pour les Petites Carabines, soit plus de cinq cents habitants, les deux premières étant son principal port et la Capitale, Tunetéméfié, presque dix mille habitants, et sa rivale aux deux lagons, Les Palmes du Canari, environ sept mille. Les deux meilleures entrées dans l’île pour les bateaux après Tunetéméfié sont Gars-d’Lard au Sud-Ouest et Pâle-Mare à l’Est, chacune avec deux mille cinq cents habitants environ, mais la troisième ville de Santa Crouze est – c’est peu fréquent dans les Carabines – une bourgade de plantations, notamment de canne à sucre, et d’industrie, dont une sucrerie, dans l’arrière-pays fertile de Pâle-Mare : Villa-Flore, quatre mille habitants environ. L’île compte au total dans les cinquante mille âmes – dont bien vingt-mille Esclaves, quelques milliers de Carabines ; sans compter les Pirates, pour l’essentiel non recensés et en partie seulement à débusquer parmi les mille cinq cents habitants de Santiago de la Tête – et est ainsi, après Madère, la plus peuplée des Petites Carabines.
Le réseau de routes et chemins est de bonne qualité. Les routes à forte valeur économique, comme entre Villa-Flore, La Plantade et Pâle-Mare ou entre les Palmes du Canari et Gars-d’Lard, ont même été – à grands frais ! – bitumées, c’est dire ! Le reste des route est simplement stabilisé et gravillonné mais entretenu et maintenu en bon état. Les chemins sont surtout bien développés et entretenus dans les zones de Plantation.
Une Femme-Gouverneur et des Pirates
L’Ile de Santa Crouze est dirigée par le Gouverneur Ana Isabel depuis 85 (du Calendrier Universel, en vigueur à Santa Crouze), la quarantaine, issue de la population des Petits Blancs de Maux-Gane, dans les Hauts de l’Ile, où ne se pratique guère qu’un peu d’élevage extensif. Elle monta rapidement les échelons de l’Armée Santacrouzienne, où elle commanda une Corvette de la Garde-Côte puis le Fort de Pâle-Mare où elle se fit connaître par une défense héroïque de tout le Sud-Est de l’île contre l’attaque d’une Coalition Pirate qui visait à piller la région sucrière ; il s’agissait de représailles pour une action de démantèlement intentée par le Gouverneur de l’époque, Jean Lebon, dans le secteur du Plan de Feu. A vrai dire, cette histoire, survenue en 83, est confuse et pas entièrement clarifiée à ce jour car ledit Jean Lebon était réputé avoir été dans les affaires Pirates, et pas qu’un peu ! Ana Isabel fut rapidement considérée comme celle qui devait prendre le Gouvernement de Santa Crouze et elle fut portée au pouvoir au cours d’un soulèvement qui toucha jusqu’à Tunetéméfié au tournant de 84 et 85. Jean Lebon prit, on ne sait trop comment, le large au sens propre et tenta de rallier à lui une Flotte Pirate pour reprendre « ses droits ». Son attaque, en 87, tourna court, de nouveau à la suite de l’excellente défense, commandée en personne par Ana Isabel. Bien que Jean Lebon n’ait été ni capturé ni, à ce qu’on en sache, tué, il se garda jusqu’à aujourd’hui de refaire parler de lui.
Le secteur du Plan de Feu, brûlé par les éruptions et caractérisé par ses falaises noires et déchiquetées qui tombent directement dans la mer, fut et reste un refuge et un repaire de la Piraterie, quoique qu’il soit extrêmement dangereux d’approche. En fait, c’est pour cela, entre autres, qu’il est, ces dernières années devenu l’une des meilleures bases de Piraterie de la région, pourtant très concurrentielle avec Tortuga et ses Ilots non loin de là au Sud-Sud-Ouest. N’ayant pas les moyens de les déloger et voulant s’assurer que Jean Lebon ne reviendrait pas, le Gouverneur Ana Isabel tissa en effet des liens – ou les approfondit à tout le moins… – avec cette Piraterie jusqu’à développer, au moins pour partie, une Communauté de Corsaires indépendants travaillant parfois pour le Gouvernement de Santa Crouze, sur Lettre de Commande, la C. P. C. C. (Congrégation des Pirates et Corsaires Crozais)…
Revenons brièvement au système politique Santacrouzien : le choix du Gouverneur n’est pas vraiment clarifié et, pour populaire qu’il puisse être, comme nous venons de le voir, il n’est certainement pas démocratique ! Ceci dit, la démocratie à ce niveau n’est pas le dernier cri de la mode politique en Carabine. C’est une autre affaire au niveau des Cioutas : les Caps Ciouta sont élus par les Gens Libres – c’est-à-dire pas les Esclaves mais, en dehors de quelques restrictions, les Carabine en font partie – à l’aide d’un suffrage censitaire qui assure le maintien de l’influence des Sucriers dans les Cioutas du Sud-Est, celle des Notables à Tunetéméfié et celle des « Canonniers », comme il se dit, à l’Ouest… Il y a des limites à la liberté politique tout de même !
Les Carabine de Santa-Crouze n’ont pas gardé de système politique propre car ils ont été relativement bien intégrés au système politique général de l’île ; à propos, on parle ici du « Gouvernorat de Santa Crouze », un terme issu de l’époque de la Kolonie et conservé puisque le système Kolonial ne fut jamais officiellement aboli et Santa Crouze dépend toujours, officiellement à tout le moins, de l’Ile Pas-de-Loupe.
Nous évoquons enfin ici, par souci d’exhaustivité dans cet aperçu, que les Pirates et Corsaires du Plan de Feu ont établi un « Code de Bonne Conduite », allant au-delà du Code Pirate, afin de limiter les conflits inutiles dans la gestion de la place et des ressources de ce secteur de l’île. Comme il est de coutume dans la Piraterie, il s’agit d’une forme de démocratie directe avec une Assemblée et un Tribunal, tenus « secrets » mais, à vrai dire, composés pour l’essentiel des hommes et femmes politiques de Santiago de la Tête. Autrement dit : Santiago de la Tête est une sorte de Municipalité Pirate et c’est à Santiago de la Tête que se rendent ceux qui veulent passer un Contrat de Commande. Pour autant, sans vouloir entrer dans les détails, il arrive aussi assez souvent – ainsi sont ces bouillonnants Pirates ! – que l’Exécutif soit exécuté directement par les concernés, eh oui, et basta !
De la Canne et des Canons…
Santa Crouze vit ainsi principalement de trois activités pouvant avoir des liens entre elles, dont deux sont peut-être déjà claires pour le Lecteur :
- La plantation de Canne à Sucre et l’industrie du Sucre, concentrées dans le Sud-Est et, dans une moindre mesure, sur les plaines côtières, liées à l’essentiel de l’Esclavage, activités fortement exportatrices et sources de Pesetes ;
- La construction militaire (architecture d’ouvrages défensifs) et surtout l’Armement, au travers d’une construction de Canons, Armes à Feu et Munitions aux Palmes du Canari, basée sur l’exploitation de mines de fer dans le massif du Tire à la Canne ;
Ces activités n’ont pas peu contribué à établir l’importance régionale de l’île mais cette politique n’aurait pas réussi à ce point sans un troisième axe, essentiel :
- La Commande, autrement dit les Corsaires ou, encore dit autrement, la contractualisation de missions avec des Pirates ! Il va de soi que cette activité, sans être tenue à un secret absolu, est menée avec une certaine discrétion. Le Commanditaire est, le plus souvent, le Gouvernement mais le Secteur Privé connaît une forte croissance depuis deux ou trois ans, notamment pour la protection des Convois de Sucre ou, au contraire, l’imposition d’un « Droit de Péage en Mer » à la concurrence des autres îles, ce qui en dit long sur les tensions régionales, même si aucune guerre ouverte n’est à déplorer.
A part ces trois piliers, l’économie de Santa Crouze est diversifiée mais ne sort pas de l’échelle locale. L’île a une agriculture vivrière bien développée, de l’élevage dans les Hauts, maîtrise à peu près tous les métiers de base – y compris ceux liés à la Navigation à Voile – tels que menuisier-charpentier, maçon, ferblantier, couvreur, verrier, tisserand, outilleur, carrossier, tonnelier, fabriquant de cordes, etc., etc.
Une soupe Kriole bien rehaussée de Pimen Zwazo
Tout cela fait de la société Santacrouzienne un ensemble diversifié mais pas toujours homogène : la société de Plantation du Sud-Est est dominée par les « Gros Blancs » et concentre l’essentiel de l’Esclavage, tandis que l’Ouest concentre les « Industriels » et un grand nombre de « Salariés », employés par eux, constituent une classe moyenne. Les Artisans – dont Carabine – sont nombreux dans ces deux régions, leurs services étant particulièrement requis par les deux activités dominantes. Dans les autres régions de l’île, on trouve surtout des Agriculteurs ou Eleveurs qui vivent généralement dans de dures conditions, des « Petits Blancs » ou des Carabine.
Les principales Cioutas de l’île rassemblent les couches les plus diverses de la société, y compris des Agriculteurs sur leurs franges, lesquels pratiquent maraîchage et cultures fruitières pour les alimenter en produits frais. Spécifique aux deux plus grandes Cioutas et aux principaux Portos est la classe des Fonctionnaires, qu’on se rassure, peu nombreuse mais bien formée et organisée, bénéficiant de nombreux avantages… Vivent les taxes à l’import et à l’export, nous direz-vous, et il s’agit bien, essentiellement de cela ; et de Police aussi. Classiques. Egalement concentrée dans les grands centres est la classe des Commerçants : on peut distinguer les Petits Commerçants – qu’on retrouve un peu partout dans les Cioutas de l’île, bien entendu légèrement plus concentrés dans les plus grandes d’entre elles – des Gros Négociants et Exportateurs qui se retrouvent uniquement dans les plus grandes Cioutas et encore plus dans les Ports comme Pâle-Mare pour le Sucre ou Gars-d’Lard pour les Armes. Les Importateurs se concentrent presque uniquement à Tunetéméfié et, dans une moindre mesure, aux Palmes du Canari.
La religion prépondérante à Santa Crouze est le Christianisme, fortement mâtiné de Vaudou : quelques Houmfor et Bokor se trouvent dans les principales villes de l’île, bien entendu, mais c’est en zone rurale que le Vaudou prend vraiment sa place et domine en fait la vie spirituelle et parfois même matérielle des gens, en particulier des Petits Blancs, Carabine et Esclaves. Le Vaudou est accepté par les autorités mais certaines pratiques sont interdites et réprimandées, en particulier la pratique du Zombi, ce qui n’empêche jamais complètement que des cas surviennent de temps en temps mais maintient ce genre de pratiques à un niveau relativement bas. Les Loa les plus révérés sont les Guédé mais il n’y a pas de culte exclusif. Le cœur battant du Vaudou Santacrouzien se trouve à Porte La Croix où, le nom l’aura indiqué, l’on révère plus particulièrement Baron Samedi (sous sa forme de Baron Lacroix).